jeudi 27 juin 2013

Comment devenir un intello sans fréquenter l'université

Je me rends compte d'une chose, ces temps-ci.

Plus les années m'éloignent de mon époque universitaire, plus je me délivre de la contrainte intello. Et quelle délivrance !

J'étouffais. Je n'étais plus moi-même, mais j'essayais d'être cette image que l'université et mes pairs m'imposaient, j'avais les goûts qu'ils me dictaient.

Pour être acceptée, être des leurs. Avoir une bourse, une reconnaissance, une place.

Et puis avec le recul, je me rends compte à quel point toute cette mascarade est risible et ridicule. Les intellos, on les repère au premier coup d'oeil, avec leur air supérieur et condescendant. Plus je les observe, plus ils m'énervent. Et plus je me sens loin d'eux, moi qui ai tout de même accouché d'une foutue maîtrise. D'ailleurs, si je n'ai pas continué au doc, c'est parce que je n'en pouvais plus de les côtoyer.

Leurs petites manies pédantes sont si prévisibles et facilement identifiables que ça m'a donné envie de dresser une liste du bon comportement à adopter pour passer pour un intello, sans même fréquenter l'université. Voici pour votre bon plaisir et surtout le mien.

- Donnez-vous un accent français, même si vous n'êtes jamais allés en France. Méprisez avec ferveur cette sous-classe de Québécois qui a un accent québécois.

- Utilisez des termes uniquement compris par votre caste. Moquez-vous de ceux qui ne vous comprennent pas.

- Privilégiez le verbe «court-circuiter». Ça s'utilise en toute situation et vous avez l'air d'avoir du vocabulaire.

- Pratiquez-vous à enrichir vos propos de métaphores-valises telles que «à la croisée de», «à la jonction de», «sur la scène de». Toutes ces métaphores doivent réunir des concepts abstraits. Véritables ou de votre cru, personne ne verra la différence. On vous croira sur parole, car vous avez un accent français.

-Lisez Derrida, Gilles Deleuze et Kant, et faites semblant de comprendre en disant n'importe quoi. Si on ne vous comprend pas, on pensera que vous êtes tellement intelligents que vos propos sont inaccessibles au commun des mortels («Plus c'est intelligent, plus c'est bête», disait mon idole Gombrowicz).

- Louez-vous un film dans la section «Répertoire» en prenant soin de choisir le plus ennuyeux et sombre. Même si vous vous êtes endormis dessus, dites que vous l'avez aimé, en en louangeant les «silences», les «séquences», le jeu subtil (en vérité absent) des acteurs, la profondeur du scénario (directement proportionnel à la profondeur de votre ennui), et tout le baratin approprié.

- Aimez l'art intellectuel. Écoutez une musique qui n'a plus de mélodie. Admirez une toile blanche. Laissez-vous emporter par une chorégraphie qui n'a ni musique ni rythme. Lisez des livres qui n'ont aucune histoire. Aimez tout cela en prêchant que ça «renouvelle le genre», que ça crée «une perte des repères» et que ça «met en relief la vacuité de notre existence». On pensera que vous avez compris quelque chose à la vie.

- Pensez-vous exceptionnels et uniques. Vous êtes promis à une grande destinée avec les grands de ce monde.

- Méprisez Marie Laberge, même si vous avez pris un vif plaisir à lire «Gabrielle» en cachette.

- Citez le plus souvent possible Dostoïevski et Kafka. D'ailleurs, plus vous les citerez, et plus vous gagnerez en crédibilité.
 
- Allez dans les soirées mondaines et soyez fous, mais intellectuellement fous, car les intellos aussi savent s'amuser, mais de façon intello, contrairement à la plèbe de ce bas monde.

- Agencez n'importe quels mots prisés par la caste universitaire. Il y aura toujours quelqu'un pour donner du sens à ce que vous dites.


Au fond, n'ayez pas peur des discours vides.

J'existe toujours

Me voici de retour avec un chum, un chat et 30 livres de plus.