mardi 30 juillet 2013

Chacun son tour

On se dit toujours : «ça arrive aux autres».

Mais là, ça arrive à moi. Maladie, douleurs, examens médicaux.

Examens médicaux.

Moi qui ne supporte pas de voir un hôpital de près, de loin, en photo, à la télévision. Moi qui fais de l'hyperventilation lorsque j'entre en contact avec des médecins, des infirmières; tout ce qui se rapporte à la santé, bref, est hautement anxiogène pour moi.

Eh oui... Je fais partie d'un groupe de gens bizarres qu'on nomme «hypocondriaques».

À l'époque de l'épidémie de méningite (j'avais 10 ou 11 ans), je traînais sur moi un thermomètre pour m'assurer à tout instant que je ne faisais pas de fièvre. Je savais que la fièvre était un des symptômes. J'avais donc peur de faire de la fièvre.

À la même époque, un peu avant ou un peu après, je ne sais plus, j'ai eu peur d'avaler. J'avais vu Garfield s'étouffer avec sa nourriture après un trop long régime. Il ne savait plus comment déglutir. C'est là que j'ai pris conscience du phénomène de déglutition, géré par notre système végétatif. Sauf que j'en ai tellement pris conscience que je n'arrivais plus à avaler, trop concentrée que j'étais sur le processus de déglutition. Ça a duré un bon moment. Quelques semaines, je dirais. Je ne mangeais plus, et je n'avalais plus ma salive. Je la crachais dans un pot. Ça a fini par une virée chez les médecins, que ma mère m'a imposée, afin de comprendre ce que j'avais. Je lui disais pourtant : j'ai peur d'avaler. Elle ne m'a pas crue. Résultat de la virée : tout est normal, ma gorge n'est pas enflée, et je n'ai pas d'os de poulet coincée de travers.

D'ailleurs, je n'ai pas mangé de poisson pendant longtemps dans ma vie, parce qu'ayant vu dans un film un homme mourir étouffé avec une arête de poisson, j'ai eu peur que le même sort me soit réservé.

Plus tard, j'ai eu peur du sida, du cancer, peur de m'empoisonner au labo de physique au secondaire avec les produits chimiques, j'ai eu peur d'être mangée par un requin, peur d'avoir une crise cardiaque, peur d'avoir un caillot de sang au cerveau, et j'en passe et j'en passe.

Chaque seconde de ma vie a longtemps été pénible pour moi. Jusqu'à ce que, un beau jour, dans la vingtaine, je comprenne une chose : les maladies et tout ça, ça ne concerne que les 30 ans et plus. Moi, je suis jeune. Invincible. En santé. Rien ne s'attaquera à moi.

Je sais, c'est complètement faux. Mais sachez que cette pensée magique m'a permis de vivre une bonne dizaine d'années sans patauger constamment dans l'angoisse de ma mort imminente.

Mais voilà. Voilà : je suis dans la trentaine maintenant. Maintenant, je suis concernée, pour de vrai.

Et demain, je me rends dans une clinique privée pour passer des tests médicaux.

Oui, tests médicaux.

Deux petits mots de rien du tout qui font chez moi des ravages incommensurables.

Quand tu es rendu à faire les tests médicaux, c'est que le médecin s'inquiète. S'il s'inquiète, c'est qu'il y a quelque chose. S'il y a quelque chose qui mérite un test médical, c'est que c'est grave. Voilà la logique vicieuse qui s'implante dans ma tête.

Pis j'ai peur. Crissement peur. J'ai peur du test, peur du médecin, peur de la drogue qu'on va me filer dans le bras, dans la veine, peur de lâcher prise avec mon corps.

Peur du diagnostic.

Alors ce soir, je dors pas. Je ne dormirai pas.

Et j'essaie de penser fort fort que demain soir, lorsque je regarderai les feux d'artifice, je me sentirai légère et heureuse, le danger loin derrière moi.